Ma vie tenue par une Carte d'Identification

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Aujourd'hui, la durée de vie d'un Haïtien est de 24 heures renouvelables. Pour augmenter la probabilité de rester en vie, il y a des conditions à suivre : ne pas rester dans les départements de l'Ouest et de l'Artibonite, éviter les discussions de toutes sortes et, surtout, avoir sa Carte d'Identification Nationale Unique (CINU).


Cette carte qui sauve la vie, est-elle légitime ou légale ?

Du jour au lendemain, spécialement trois mois après son investiture, le président Jovenel Moïse a décidé d'adopter en Conseil des ministres un projet de loi instituant la carte d'identification nationale unique et portant sur la protection des données personnelles (19 avril 2017).

Était-ce la manière légale ? Un projet de loi est-il voté par le Conseil des ministres ou par le Parlement ?

La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) a émis deux avis défavorables contre le contrat entre l'État haïtien et la firme allemande Dermalog, chargée de fabriquer les cartes. La commission éthique et anticorruption du Sénat avait souligné que le contrat entre Dermalog et l'État haïtien constituait un vaste délit administratif et juridique, marqué par un détournement de fonds et plusieurs erreurs graves.

À partir du 16 juin 2020, le gouvernement de Jovenel Moïse a imposé un ultimatum de 120 jours pour que tous les Haïtiens obtiennent la Carte d'Identification Nationale Unique (CINU), dotée d'un Numéro d'Identification Nationale Unique (NINU). Sans considérer les bases de données de l'ancienne carte d'identification nationale (CIN), le gouvernement a décidé d'annuler la validité de cette dernière en faveur de la CINU, sans prendre en compte leur date d'expiration.


L'opposition, très active à cette période, a critiqué cette décision et a impliqué la Première Dame, Martine Moïse, dans le scandale. Elle aurait fait partie de la délégation chargée de sélectionner la nouvelle firme pour la fabrication des cartes, une implication niée par son bureau, malgré des vidéos circulant sur les réseaux sociaux prouvant le contraire. Le gouvernement justifiait cette décision en affirmant que, « dans l'état actuel des choses, l'État haïtien est incapable de fournir des pièces d'identité à tous ses citoyens. Il ne dispose pas d'un système d'identification nationale sécurisé. »

Pour l'opposition, il s'agissait avant tout d'une manœuvre politique du gouvernement PHTK pour se maintenir au pouvoir pendant vingt-cinq ans, comme l'avait déclaré l'ancien Premier ministre Jacques Guy Lafontant. L'opposition soutenait que la base de données de cette carte serait contrôlée par le PHTK afin d'influencer les prochaines élections. Ensuite, elle associait cette nouvelle carte à l'augmentation des cas de kidnapping. Selon elle, la carte était équipée d'une puce électronique permettant de tracer les citoyens. Cette théorie a mené à des vidéos de citoyens en train de retirer la puce de leur carte.


Selon Ayibopost (2019), l'État avait déclaré que la carte contenait une puce intelligente recueillant l'empreinte digitale du détenteur, l'empreinte de l'iris, les données biographiques et la signature du citoyen.

D'après Djovany Michel (2021), journaliste anticorruption très influent sur les réseaux sociaux, quatre raisons expliquaient la méfiance envers la carte Dermalog :

  1. Elle ne serait pas valable lors de la transition, l'ancienne carte restant en vigueur.

  2. Jovenel Moïse n'aurait pas le temps d'organiser les élections.

  3. Cette carte pourrait permettre de voter sans le consentement du propriétaire.

  4. Sa fabrication enrichirait Martine Moïse aux dépens de l'État haïtien.

Après l'assassinat de Jovenel Moïse, l'opposition, intégrée au gouvernement d'Ariel Henry, a cessé de critiquer le dossier Dermalog.


Le 24 avril 2023 à Canapé-Vert, un mouvement populaire contre les gangs, connu sous le nom de Bwa Kale, a émergé. Ce jour-là, des dizaines de membres de gangs ont été tués et brûlés par la population. Depuis, la question de la carte d'identification est revenue sur le devant de la scène.

La carte d'identité n'est plus seulement un document administratif, mais un moyen de survie. L'absence de carte est assimilée à une appartenance aux gangs et expose à la vindicte populaire. Cependant, cette équation est-elle juste ? De nombreuses personnes ont perdu leurs documents dans des incendies ou en fuyant les violences. Sont-elles pour autant des criminels ? Par ailleurs, certaines zones sous contrôle des gangs continuent-elles à délivrer des cartes ?


Selon Le Nouvelliste, la carte seule ne suffit pas à échapper aux représailles. Les brigades analysent les cartes selon plusieurs critères :

  • Date d'émission : une carte récente est suspecte.

  • Lieu d'origine : les habitants de zones comme Carrefour, Martissant ou Carrefour-Feuilles sont stigmatisés et risquent leur vie.


Aujourd'hui, la population haïtienne est prise entre deux feux : les gangs d'un côté, les brigades populaires de l'autre. Comment expliquer cette souffrance ? Par la métaphysique (péchés, colère divine) ou par le positivisme (mauvaise gouvernance, analphabétisme, inégalités, complot international) ? Peut-on combiner les deux ?


Sources 

  • Sinayder, P.L. (2019, 19 sept.), Pourquoi le dossier DERMALOG est un vaste scandale ?  , AYIBOPOST,  URL https://ayibopost.com/pourquoi-le-dossier-dermalog-est-un-vaste-scandale/ 
  • Jovani, M. (2021, 10 janvier) [journaliste anticorruption) Facebook ,https://www.facebook.com/share/p/1A8TFu1bGL/?mibextid=CDWPTG 
  • Billy, D. (s.d), Haïti : Le président Jovenel Moise par décret impose la carte Dermalog aux haïtiens et annonce des sanctions, URL : https://gazettehaiti.com/node/1646#google_vignette 
  • Esther, B. & Jonasson, O. (2025, 7 mars), S’identifier à Port-au-Prince : une question de vie ou de mort, Le nouvelliste, https://lenouvelliste.com/article/253824/sidentifier-a-port-au-prince-une-question-de-vie-ou-de-mort

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