Critique sur l’avant-projet de la nouvelle constitution

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Contextualisation 

 Depuis après le séisme du 12 janvier 2010, Haïti connaît une instabilité chronique tant sur le plan social qu'économique. Cette situation aggravante a fait exploser le pays dans sa structure interne où de nombreux défis sociodémographiques ont vu le jour. De là, plusieurs quartiers sont transformés en de territoires de violence, avec surtout l’appui du nouveau régime en place. Les milieux défavorisés sont sur le contrôle des gangs armés qui sèment de la terreur partout et ailleurs. De nombreux habitants fuient leurs quartiers d'origine pour aller s’installer dans des camps, en quête d'une paix temporaire. La majorité des établissements scolaires ou universitaires sont pris en otage par des gangs armés. Face à cette situation, on ne constate que l’impuissance des forces de l’ordre et de l’effrondement de l'autorité de l’État. Compte tenu de ce constat lié à l'aggravation de la misère et de l'insécurité, le cap n’est lancé que vers un changement de constitution. À ce moment, les questions se posent ainsi : comment créer un climat de paix et de sécurité avec un simple changement de constitution ? Le problème réel et structurel que connaît le pays est-il lié à la constitution de 1987 ou à sa non-application ? Les modifications apportées sont-elle aptes à résoudre le problème de la sécurité auquel on est tous exposés ?


Introduction 

 Dans chaque pays dits républicains, les rapports des citoyens entre eux ou entre l'Etat et la population se définissent par un ensemble de règles bien établies. Ces principes sont toujours l'émanation d’un accord entre les différents membres de la communauté et qui dictent le caractère, la forme ou la nature de l’État en question. Tous ces principes juridiques fondamentaux regroupent autour de la Constitution. Qui dit constitution dit loi-mère organisant la vie collective, et en-dessous de laquelle on retrouve les décrets, accords, traités, etc. Selon Hans Kelsen, elle occupe la position supérieure dans la hiérarchie des normes. 

     Le changement de constitution dans n'importe quel pays est toujours procédé après un chambardement total ou par un ensemble de procédures bien tracées. De notre côté, l'article 284-3 de la constitution de 1987 nous offre une piste bien claire : « tout changement par consultation populaire est interdite ». Or, depuis avant la fin du mandat du président Jovenel Moïse jusqu’à maintenant, il n'y a qu’une seule façon qu'on veut y procéder : référendum. A ce moment, une interrogation s’estime importante et qui est bel et bien notre question fondamentale : quel est l'intérêt réel que défend cette nouvelle constitution ? 


     En Haïti, le changement de constitution par voie référendaire défend toujours l’intérêt de la classe dominante et de l'impérialisme. 


 Notre objectif principal est de montrer qu'à chaque fois la classe dominante veut opérer un changement dans la structure politique en Haïti et pérenniser sa domination à long terme, il encourage le changement par référendum. Et l’objectif spécifique, est de montrer que tous les changements constitutionnels par voie référendaire en Haïti sont opérationnalisés par des présidents inconstitutionnels. 


 Pour réaliser ce travail, nous allons utiliser la théorie marxienne de l’État et du Droit qui stipule que l’État est un instrument au service de la classe dominante et le Droit est un outil pour légitimer et maintenir l’ordre social existant. Pour lui, dans un espace divisé en classe avec des intérêts purement contradictoires, ceux qui possèdent les moyens de production exercent toujours une influence sur l’État qui défend en retour son intérêt.


Revue de littérature 

   Mirlande Manigat, dans son texte de manuel de Droit constitutionnel élabore un ensemble de démarche pouvant aboutir à un changement de constitution. D'après elle, cette modification devrait opérer soit par une assemblée constituante ou par le parlement. Or, le premier n’existe pas et le parlement est caduque depuis environ cinq (5) ans. C’est un vide qui ne donne aucune possibilité à une telle démarche. Et, la constitution de 1987, quant à elle, empêche toute modification par voie réfrendaire, en son article 284-3. 

    

Selon l'historien Claude Moïse, la constitution a toujours été un espace de concrétisation de luttes pour le pouvoir. Ces différents affrontements ont toujours joué en dehors des cadres institutionnels offerts par la constitution entre les groupes rivaux. Chaque parti utilise la constitution en fonction de son intérêt. Et en cas de frein ou d'obstacle, ils ont tendance à procéder à sa modification ou à son changement. 

    

 Selon un article apparu dans « The Haitian Times », le 03 juillet 2025, le professeur à l’université, Kensonn Labonté a mentionné que le referendum a toujours été un moyen de consolidation du pouvoir politique par les dirigeants en lice. A chaque période de fin mandat, les gouvernements comme ceux des Duvaliers invitent la population à voter pour une nouvelle constitution, en leur donnant de plein pouvoir pour continuer à occuper le palais national. Donc, ctte opération est toujours l'apanage des présidents en fin de mandat et qui veulent continuer à garder le pouvoir. À titre d'exemple, les Duvalier et le président Jovenel Moïse. 

     D’après un article publié par Alter presse sur le changement de la constitution, des membres de la diaspora ont qualifié cette démarche comme une tentative de privation des acquis démocratique obtenus à travers des luttes. Pour eux, la violence des gangs est interprétée comme un moyen pour imposer un pouvoir vertical contre la volonté populaire. 


À cette recension théorique, je trouve qu’il y a un écart entre ce que disent ces auteurs et l’intérêt réel que défendent les constitutions modifiées par référendum.


Analyse 

Selon Hannah Arendt, la première mission de la loi, c'est de rendre possible la cohésion sociale et la paix intérieure. Chaque pays qui connaît de difficultés dans le processus de mise en commun de la population opère un changement dans ses principaux textes juridiques. Toutefois, il y a des situations de bouleversements politiques ou de révolutions qui impliquent aussi un nouveau régime. Et, de ce nouveau régime naît toujours une réforme constitutionnelle. 


     En Haïti, la révolution de 1804 qui a chambardé tout le système social existant nous a conduit à l'élaboration d’une constitution pour donner un statut juridico-légal au nouvel État. Cette charte renoue les liens de dépendance avec la métropole d’alors et offre les grandes lignes directrices orientant la jeune nation vers un ordre social plus juste et équitable. Malheureusement, les évènements tragiques de 1806 - qui ont conduit à la mort de l'empereur Jean-Jacques Dessalines – nécessitaient un changement de constitution. Lequel changement faisant passer Haïti d’Empire à République. 


     Si les États-Unis n'a expérimenté qu’une seule constitution avec plusieurs amendements et la France 14. Haïti, quant à elle, a connu environ 22 depuis son indépendance jusqu’à nos jours. Les moments de rupture et de violence qui ont traversé cette jeune nation peut expliquer ce changement volumineux de régime et de constitution. Toutefois, le problème réel auquel nous tentons d’intervenir provient par la façon dont ces changements ont été opérés. Tout au long de notre histoire, la majorité des textes constitutionnels ont été élaborés par une assemblée constituante ou par le parlement. 


     D’après l'historienne Suzy Castor, le premier changement par référendum a été réalisé par Sudre Dartiguenave, sous les auspices des occupants américains. Selon Edgar Gousse, la rédaction de ce texte a été faite par l’ancien président américain Francklin Delano Roosevelt. Ainsi, la chose fondamentale a été celle de donner droits de propriété aux étrangers. Dès lors, une vague opération de spoliations ont vu le jour dans les campagnes. Bon nombre de paysans ont été déracinés de leurs terres pour faire place aux compagnies étrangères américaines comme Mc Donald, Hasco, SHADA,etc. 


D’après l’économiste Gérard P. Charles, le Président Duvalier, à la fin de son mandat, il a organisé un référendum pour rester au pouvoir comme président à vie. Il se faisait passer comme l'ultime défenseur des intérêts américains sur le territoire haïtien en particulier et dans toute la communauté caraïbéienne en général. De là, une lutte acharnée a été menée durant tout son mandat contre les communistes qualifiés de « Kamoken ». Et, le gouvernement américain en retour lui a apporté tout son soutien tant sur le plan politique qu’économique (avec plusieurs millions de dollars comme financement). Ceci étant dit, le référendum réalisé par Duvalier en 1963 a été supporté par les Américains en raison de protéger leurs intérêts idéologiques et économiques en Haïti. 

     C’est avec les Duvalier que commencèrent la pénétration du capital étranger américain dans le secteur textile en Haïti. Ce qui avait occasionné le déplacement massif et forcé des paysans vers la capitale de Port-au-Prince, et qui se transformèrent plus tard en de simples ouvriers misérables. De plus, de nombreuses modifications ont été apportées dans la structure économique du pays au profit de la politique néolibérale montante. Ces changements ont aussi contribué à l'appauvrissement de la masse paysanne avec la destruction des « cochons créoles » considérés comme étant leur principale source de revenus d'alors. 

     Dans cet avant-projet de constitution, la même question de donner droit de propriété aux étrangers apparaît de nouveau. À ce moment, on se demande si la démarche ne serait pas l'occasion de satisfaire les mêmes besoins de ces multinationaux, tout en tenant compte des déplacements de la population par les gangs armés comme une nouvelle forme de déracinement et de spoliation. Ces territoires occupés ne sont-ils pas inscrits dans une même dynamique que celle des spoliations orchestrées contre les paysans en 1915 ? 



 Après une situation de doute et d’inquiétude - dans un contexte de crise généralisée - au lieu de rétablir l'ordre, la paix et la sécurité. Les tenants de ce pouvoir, malgré illégitimes et illégaux, veulent modifier la constitution en dehors de toutes normes prescrites. Et, ce qui paraît tout à fait paradoxal, c’est que ce même texte ne reconnaît en aucun cas le conseil de transition ni dans sa forme ni dans ses composantes. Nul n’est sans savoir que ce conseil a été mis en place sous bénédiction de la CARICOM, et sous couvert de l’impérialisme américain. D’où le principal doute qui plane autour de ce processus référendaire si ce n’est pour répondre aux exigences faites par ceux qui les ont imposés : l’international.


Conclusion 

Après avoir feuilleté les differentes interventions des constitutionnalistes sur le sujet. On pourrait déduire l'llégalité et le manque de légitimité de ce processus. Ainsi, il est droit de s'affirmer que cette violation de la constitution de 1987 n’est pas seulement un moyen pour résoudre les rivalités internes ni un moyen de consolidation du pouvoir politique. Mais, c’est encore une démarche pour répondre à un besoin externe du capitalisme sous couvert d’une légitimité populaire. À ce moment, l’idée de Marx faisant croire que l'Etat est un instrument au service de la classe dominante est de mise quand on assiste à la vassalisation de l'Etat haïtien pour modifier les lois du pays au profit des capitaux étrangers. Et cette démocratie bourgeoise, comme disait bien Engels, n’est autre qu’une illusion pour masquer leur domination si on tient compte de l’incapacité de ce pays d'en renouveler son personnel politique à travers les élections, et ceci, depuis environ dix années.


Bibliographie 

1) Arendt H. (1993). Le sens de la politique. Éditions du Seuil 

 2) Castor S. (1971). L’occupation américaine d’Haïti. Éditions CRESFED 

3) Gousse B. (2004). 1915-2015 : cent ans dans le ventre de la bête. Éditions Auteuil 

4) Engels F. (1884). Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat. Éditions Progrès 

5) Manigat M. (2003). Manuel de Droit constitutionnel. IFES 

6) Marx K. (1888). Le manifeste du parti communiste. Editions Flammarion 

7) Moïse C. (1988). Constitution et luttes de pouvoir en Haïti. Éditions CIDIHCA 

8) Pierre-Charles G. (1973). Radiographie d'une dictature. Éditions Nouvelle Optique.



Par Edris TOUSSAINT

Étudiant en Sciences Politiques Option Relations Internationales à INAGHEI

+509 42 41 7813 


  

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