De la Maïeutique à la pédagogie générale : l’héritage de Platon et ses limites contemporaines

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Résumé

      La pédagogie platonicienne se fonde sur un dialogue mutuel entre maître, maîtresse/enseignant.e. et élève, dans une dynamique de construction du savoir. En revanche, elle soulève de nombreuses réserves liées à sa complexité, son ancrage dialectique et son application à l’éducation contemporaine. Le problème tient à son ambiguïté : entre transmission verticale et interaction horizontale, comment former un homme, une femme juste ? En cela, l’enjeu est donc double : primo, repenser l’éducation comme quête existentielle, et secundo, identifier les conditions d’une transmission efficace. Dès lors, peut-on considérer le co-constructivisme de Platon comme un modèle éducatif universel global ou simplement comme une fondation parmi d’autres d’une pédagogie toujours en quête de sens ?


Présentation

     La pédagogie de Platon n’en demeure pas moins paradoxalement versatile, dans la mesure où l’éducateur et l’élève se construisent mutuellement, mus par une même finalité : la quête du savoir. L’un et l’autre sont à même d’échanger par le biais du dialogue, au point que chacun apprend de l’autre dans une dynamique d’interaction réciproque. C’est là ce qui constitue, en réalité, la méthode pédagogique dite active, socio-constructive ou encore holistique, si l’on veut y voir, en réduction, l’essence même de la pédagogie socratique.


       En revanche, une réserve de taille subsiste, teintée d’un excès d’assimilationnisme : cette méthode, à travers les âges, demeure l’objet de débats et de remises en question constantes. Elle incarne, de fait, l’imbrication d’un binôme dialectique oscillant entre le « pourquoi » et le « comment » éduquer l’homme, la femme, être fragile et multidimensionnel, en qui se mêlent qualités et défauts. Voilà sans doute le cœur de toute réflexion pédagogique portant sur l’éducation intégrale de l’être humain en tant que substance ou personne.


          Ainsi, peut-on alors, en toute bonne foi, se laisser guider par le discours platonicien, au motif que ce dernier, fidèle aux valeurs transmises par Socrate, n’en serait qu’un simple miroir ? Ou, au mieux, Platon détenait-il réellement, à travers sa dialectique dite active ou complète, une réponse éducative pleinement opérante ? Telle est l’interrogation à laquelle il nous faut tenter de répondre, sans faux-fuyants, en bon ménage.


         Mes préoccupations consisteront donc, ipso facto, à décrire la méthode pédagogique de Platon selon une approche dialectique et analytique, certes sommaire mais discursive, dans la mesure où ladite méthode présente à la fois des avantages et des inconvénients qui nourrissent un débat persistant, parfois au point de vouloir en réduire la portée. En revanche, en aucun cas ne saurait-on occulter, et encore moins boyer ou négliger, les apports robustes et nourrissants qu’elle offre à la pédagogie moderne et contemporaine.



Introduction

        Les sociétés n’ont jamais cessé de transmettre aux générations montantes des valeurs et des croyances, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours (Cf. Moreau, 2017). Il est naturel, en effet, de vouloir satisfaire la soif du capital culturel (Cf. Bourdieu, 1966) par des pratiques et des traditions, dans le but d’assurer la pérennité du patrimoine et/ou matrimoine social et symbolique. Ces transmissions s’opèrent essentiellement par le biais de la tradition et de l’éducation. Toutefois, cette dernière ne s’est pas toujours imposée comme une fonction intrinsèque de la société, tant éduquer et instruire ne suffisent pas nécessairement à rendre l’homme, la femme vertueux.se et juste au sein d’une société idéale. Mais sans détour, il convient de reconnaître que l’éducation reste et demeure le facteur fondamental du bon ordonnancement humain : tout procède d’elle, par elle, et avec elle.


          C’est pourquoi l’éducation, tout au long des siècles, s’est constituée en catalyseur central dans la formation et la consolidation du tissu social (Cf. Château, 1979). Elle s’est toujours inscrite dans une dualité interrogative, articulée autour du « pourquoi » et du « comment » éduquer l’homme, la femme. Dès lors, de grands théoriciens tels que Platon, Aristote, et d’autres encore, n’ont eu de cesse d’apporter des éléments de réponse pertinents à cette problématique fondatrice

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           Il importe ainsi de porter une réflexion approfondie sur la méthode pédagogique de Platon, pour qui l’éducation se présente comme une quête permanente du savoir — ce qu’il nomme méthode active ou dialectique de la connaissance. Deux axes majeurs permettront de structurer mon propos : primo, un axe méthodologique, fondé sur la thèse théorique développée dans son œuvre magistrale La République ; secondo, un axe analytique, à travers lequel ce fidèle disciple de Socrate expose sa vision de la pédagogie comme instrumentum de formation intégrale. C’est à l’examen rigoureux de cette pédagogie active — ses fondements, ses apports et ses limites — que mon étude se consacrera.


 I. Platon

1.1. Parcours et son temps

         Platus’’, du grec, ‘’large, plat’’ du mot Platon, philosophe de la Grèce antique; né à Athènes (428-348), avant J.-C. d’origine aristocratique, reçut l’éducation complète des jeunes gens riches de son temps. Il fut l’élève de Socrate dont il suivit l’enseignement de 408 à 399. Il voyage pendant longtemps et revient à Athènes en 387, puis fonde l’Académie où il enseigne tout en rédigeant et publiant ses dialogues (Cf. Minois, 2018).


           Platon mourut octogénaire, sans s’être marié, laissant sa fortune à Speusippe. Créant un genre philosophique, Platon a abordé dans ses dialogues « Criton, l’Apologie de Socrate, … » les grands problèmes métaphysiques et philosophiques en alliant le discours rationnel au langage poétique (Cf. Reboul, 2010/2016).


        Pour le philosophe, en fait, la forme supérieure du savoir est une vision, une intuition intellectuelle des essences ayant pour principe 1er l’idée du bien (Dieu). Ainsi, sans jamais abandonner la théorie des idées,  aborda-t-il dans ses derniers dialogues des problèmes de cosmologie, d’éthique et de politique, lesquels interprétés comme un rationalisme mathématique ou un idéalisme à tendance mystique. La philosophie platonicienne n’est peut-être que l’expression inversée d’une réalité historique et politique (Cf. Le petit Robert des noms propres, Dictionnaire illustré, 2006, p. 1712). 


1.2. Méthodologie et pédagogie de Platon

         Les fondamentaux de l’éducation demeurent intimement liés, ose-t-on le dire, à la philosophie de Platon. Ses derniers dialogues constituent, à bien des égards, l’ossature doctrinale sur laquelle reposent les conceptions éducatives de nombreuses civilisations et traditions savantes (Cf. Gambou, 2022). Pour appréhender pleinement sa pédagogie, il convient néanmoins de porter une attention particulière à celle de Socrate, considéré à juste titre comme le précurseur des « méthodes actives » que Platon, en fidèle disciple, s'approprie et affinait. La Maïeutique socratique se présente ainsi comme une méthode fondée sur la participation active de l’élève, où la réflexion éveillée et spontanée devient l’outil par excellence menant à la découverte de la vérité (Cf. Fournier, 2018).


         Il va sans dire que cette pédagogie repose sur une coopération symbiotique entre l’éducateur et l’élève, tous deux engagés dans un dialogue fécond à la poursuite du savoir. Ils s’inscrivent dans une dynamique interrogative, où la question et la réponse deviennent les instruments d’une quête intellectuelle partagée. C’est dans cet esprit que le professeur Éric Lapointe, dans l’un de ses articles, soutient l'idée selon laquelle, pris en métamorphose de l’Etance, Platon opterait aujourd’hui pour le socioconstructivisme. Dans cette même veine, Jean Piaget n’hésite pas à affirmer, In Psychologie et pédagogie, que « la Maïeutique est un appel à l’activité de l’élève plus qu’à sa docilité » (Piaget, 1969, p. 203). Dit autrement, la Maïeutique s’apparente à une pédagogie non-directive, offrant à l’élève la latitude d’un guidage restreint, laissant place à l’initiative personnelle dans le processus de découverte.



II. Platon, pédagogie et constructivisme

2.1. Le pédagogue


      On ne saurait prétendre que Platon soit le seul à avoir fait profession d’éducateur, ni qu’il ait été l’unique penseur à proposer un idéal méthodologique en matière d’éducation. Loin s’en faut ! Toutefois, nul, avant lui, si l’on accorde foi à la lecture de J. Moreau de Saint-Rémy ne s’était véritablement interrogé sur les exigences fondamentales auxquelles l’action éducative devait répondre (Cf. Moreau, Ibidem). En ce sens, Platon apparaît comme le premier à élaborer une véritable philosophie de l’éducation, explicitement développée dans son œuvre magistrale La République. Celle-ci prend corps à la suite du constat accablant de l’injustice sociale qui gangrène Athènes dès le Ve siècle av. J.-C (Cf. Moreau, Ibidem).


        En effet, la finalité de sa pédagogie est de former les individus dans leur totalité — corps et âme — afin qu’ils deviennent des citoyen.ne.s vertueux.ses au service de la cité idéale. Ainsi, la dialectique platonicienne, héritée de la méthode socratique, s’impose comme une pratique pédagogique ayant pour but ultime de « guider l’âme vers la connaissance de la vérité ». D'où, faut-il comprendre que l’éducation, selon Platon, constitue une voie incontournable vers l’organisation harmonieuse de la société et de la politique. Néanmoins, il convient de ne pas éluder les controverses que cette thèse suscite, tant du point de vue de ses apports que de ses limites (Cf. Reboul, Ibidem).


2.1.- Avantages de la méthode pédagogique de Platon


    In introitum, l’un des avantages majeurs de la pédagogie platonicienne réside dans le fait qu’il s’agit d’une pédagogie active. En ce sens, elle se veut participative, socio-constructive, et orientée vers la recherche de la vérité à travers le savoir discursif. En cela, la dialectique platonicienne constitue un exercice cognitif visant à guider les individus vers une réflexion autonome leur permettant de construire leurs propres savoirs. Ainsi, Platon se dresse-t-il contre toute forme d’endoctrinement. Pour lui, la connaissance ne saurait être implantée de force dans des esprits inertes, pas plus que la vision ne peut être introduite dans des yeux aveugles.


         L’élève, dès lors, ne saurait être réduit à un simple récipient vide dans lequel l’enseignant viendrait déverser un savoir tout fait. La pédagogie platonicienne exige de l’étudiant.e qu’il apprenne à contempler patiemment la réalité de ses propres yeux, plutôt que de la recevoir passivement à travers le prisme d’autrui. In fine, l’être humain, en quête de connaissance, se doit d’être à la fois réceptif et engagé dans son processus d’apprentissage. On peut ainsi affirmer que la dialectique de Platon stimule l’esprit critique et l’aptitude à problématiser les connaissances.


     Tel est d’ailleurs l’apport social du dialogue, puisqu’il confronte les élèves aux multiples problématiques soulevées par leurs pairs. C’est également en cela que réside l’un des points de tension — d’ordre subjectif — que soulève la pédagogie de Platon, car, aux yeux de plus d’un, celle-ci aurait fait l’impasse sur certains aspects essentiels de l’expérience éducative.


2.2. Inconvénients et limites de sa pédagogie


          La méconnaissance partielle de la dimension subjective de l’homme demeure un point qui aurait prêté à équivoque dans la thèse de Platon. En ce sens que, selon lui, les individus sont formés afin d’être, progressivement, assignés à une classe sociale déterminée au sein de la cité idéale. Cette classification reste tributaire d’un processus de sélection rigoureux. Pourquoi donc ? Tout simplement parce qu’elle attribue à l’individu un rôle préétabli, sans véritablement considérer les implications de son libre arbitre. C’est là que réside la réserve majeure à l’égard de la théorie éducative de Platon. Dès lors, l’on peut légitimement, si l'on s'embarque auprès de cette intrusion heuristique, se demander en quoi cette théorie pédagogique contribue au développement de l’homme, de la femme en tant qu’être libre, tant du point de vue individuel que social ?


           Hery Solaniaina, invité à cette discussion, s'est dressé le ton, et, aurait peut-être sa part de raison en avançant que Platon, non seulement négligé partiellement la dimension subjective de l’Homme, de la femme, mais encore, il omet de prendre en considération la dynamique relationnelle du « sujet-sujet » et du « sujet-objet » ; autrement dit, la relation de l’homme, de la femme à ses semblables, et celle de l’homme, de la femme au monde. Il en résulte que le lien que l’homme, la femme devrait entretenir avec autrui se voit largement déterminé par les impératifs de l’organisation politique et sociale de la cité. D'où, le processus d’apprentissage, dès lors, ne saurait se réduire à un simple échange entre « éducateur.trice et élève », il devrait également intégrer un véritable dialogue entre les élèves eux-mêmes.


2.3. Apport de Platon à la Pédagogie


         On ne peut s’empêcher de croire que la méthode pédagogique de Platon contribue de manière significative à l’évolution de la pédagogie générale; alors qu’aujourd'hui Amadou parle de pédagogie Ubuntu (Chemin, Mediapart, 2025). En ce sens que, pour favoriser une dynamique interindividuelle dans la réalisation de tâches cognitives, il convient de recourir, soit implicitement soit explicitement, à la théorie de la pédagogie socratique héritée de Platon. Les travaux sur le développement social de l’intelligence, menés par Doise et Mugny (1981), en constituent des illustrations particulièrement éclairantes. Il faut reconnaître à Platon le mérite d’avoir été l’initiateur d’une pédagogie interactive, au sein de laquelle il s’agit avant tout d’orienter, de guider la quête intellectuelle de l’élève, afin que celui-ci parvienne à formuler sa propre réflexion. In fine, la Maïeutique platonicienne consiste à amener, mutatis mutandis les interlocuteurs à expliciter ce qu’ils pensent savoir, et à les inciter à développer un raisonnement autonome.


Conclusion

         Tout bien considéré, Stabat Mater in dolorosa, Platon a marqué de son empreinte la pédagogie en y diffusant ses conceptions éducatives par le biais de la méthode socratique — dit autrement, par une pédagogie active. Celle-ci vise essentiellement à développer chez l’apprenant le sens de la réflexion et de l’argumentation, ce qui, sans conteste, l’affranchit de la docilité et de la passivité, pour en faire un acteur de la construction de ses propres savoirs, orienté vers la recherche de la vérité. Ce que Platon, ab intestat qualifie d’« éducation complète ». En d’autres termes, une éducation qui prend en compte l’homme, la femme dans ses dimensions corporelle et métaphysique, afin qu’il/elle devienne un être juste et vertueux, au service de la cité idéale. Eu égard à cela, cette éducation doit reposer sur le dialogue et l’échange, par le biais de jeux heuristique et d’interrogations entre apprenants et éducateurs, peu importe l'issu de continent du savoir. In fine, cette approche, aussi novatrice soit-elle, se voit circonscrite par certaines limites, dans la mesure où elle omet de prendre en considération certains paramètres essentiels, comme les métamorphoses de la condition humaine.


Elmano Endara JOSEPH

joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht,

+509 32 32 83 83

Formation : Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/ Faculté des Sciences Humaines (FASCH), Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico.

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Bibliographie

Alfred GAMBOU, L’idée d’éducation et de formation de l’adulte chez Platon : Ses présupposés, ses obstacles et ses finalités, « Phronesis », 3(11), Paris, PUF, 2022.

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Georges MINOIS (dir.), Platon : Premier théoricien de l’éducation, Coll. Petite bibliothèque, « Les Grands Penseurs de l'Éducation », Paris, [en ligne : 28/03/2021], 2018, pp. 7-10, consulté le 29 avril 2025, à 18h 34, disponible sur : https://doi.org/10.3917/sh.fourn.2018.01.0007

Isabelle CHEMIN,   Amadou Elimane Kane, inventeur et innovateur de la pédagogie Ubuntu, « Mediapart », Billet de blog 8 mai 2025. Consulté le 4 mai 2025, à 16h35, disponible sur : https://blogs.mediapart.fr/isabellechemin/blog/080525/amadou-elimane-kane-inventeur-et-innovateur-de-la-pedagogie-ubuntu.

Jean PIAGET, Psychologie et pédagogie, 1969, p.203.

Joseph MOREAU, Les grands pédagogues, «chp. I : Platon et l'éducation (427 ? — 346 ? av. J.-C.) », pp. 13-34.  [En ligne : 01/11/2017], consulté le 29 avril 2025, disponible sur : https://shs.cairn.info/les-grands-pedagogues--9782130364979-page-13?lang=fr

Jean CHÂTEAU (dir.), Les Grands Pédagogues, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 378, consulté le 2 mai 2025, à 20h57, disponible sur : https://shs.cairn.info/les-grands-pedagogues--9782130364979?lang=fr

Le Petit Robert des noms propres, dictionnaires illustrés, 2006, p.1712.

Martine FOURNIER (dir.), Les Grands Penseurs de l'éducation, Coll. Petite bibliothèque, Paris, Sciences Humaines, 2018, Consulté le 1er 2025, à 23h12, disponible sur : https://shs.cairn.info/les-grands-penseurs-de-l-education--9782361064655-page-7?lang=fr

Olivier REBOUL, La pédagogie et ses antinomies, « La philosophie de l'éducation », coll. Que sais-je?/Repères, Paris, PUF, 2010/2016,

(De) Saint-Rémy Joseph MOREAU, Platon et l’Éducation, dans « Les grands pédagogies », 1980, pp. 13-34, [en ligne] disponible sur www.cairninfo.

« Les idées pédagogique », https//www.books.openedition.org

R. Henry Solaniaina JEAN AIMÉ, De la théorie platonienne de l’éducation à l’essai d’une nouvelle théorie éducative, « projet de thèse doctorale », 2008-2009, consulté en novembre 2022.

 

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