La
relation d’Haïti avec les puissances occidentales comme les États-Unis, le
Canada, la France, pour ne citer que ces pays, a été marquée par des dynamiques
très complexes, souvent empreintes de dépendance et de manipulation.
L’influence de ces pays a de graves conséquences sur la prospérité et l’avenir
de cette nation. Néanmoins, face à la situation critique que connaît le pays,
aux défis socio-économiques récurrents et aux crises politiques internes, Haïti
doit adopter une nouvelle orientation stratégique pour rétablir son autonomie
et renforcer sa position dans le monde. Pour que les rêves de tous les
patriotes haïtiens deviennent une réalité, les autorités haïtiennes doivent
renforcer leurs relations avec le Sud global, qui pourrait offrir à Haïti des
opportunités de solidarité, de coopération fructueuse et de développement
durable.
Des
écrivains haïtiens comme Jean-Bertrand Aristide, ancien président d’Haïti, dans
son livre In the Parish of the Poor:
Writings from Haiti (London: Zed Books, 2000) et dans ses discours
lorsqu’il était prêtre, ont toujours défendu l’idée qu’Haïti doit se défaire
des relations néocoloniales avec des pays qu’il considère comme les principaux
responsables de la fragilité actuelle du pays. Il a souvent insisté sur
l’importance de la solidarité entre les nations du Sud. D’autre part,
Michel-Rolph Trouillot fait une analyse importante des dynamiques de pouvoir et
d’influence à l’échelle mondiale, qui explique les défis spécifiques rencontrés
par les pays postcoloniaux comme Haïti. En se basant sur les réflexions de ces
auteurs haïtiens, une nouvelle révision des relations internationales
traditionnelles s’impose, marquées historiquement par une dépendance aux
grandes puissances du Nord.
D’autre
part, on peut prendre en considération les réflexions de différents penseurs
étrangers comme Samir Amin, avec sa théorie de la dépendance, et Eduardo
Galeano, qui a dénoncé l’inégalité dans le système mondial. Ces deux auteurs
mettent en lumière les structures économiques globales qui maintiennent les
pays du Sud dans une position de vulnérabilité.
En effet,
en explorant cette thématique, cet article propose une réflexion approfondie
sur la façon dont Haïti pourrait développer sa stratégie de coopération avec
les pays du Sud global dans le but de renforcer sa résilience et son
indépendance. Dans ce travail, nous plaidons pour une reconfiguration des
relations internationales, non plus sur la base de rapports de domination ou de
« zamitay », mais sur une solidarité active, pour un Haïti plus solidaire et
autonome.
Depuis
son indépendance en 1804, Haïti entretient des relations diplomatiques inégales
avec des puissances occidentales telles que la France, le Canada et les
États-Unis. Ces relations, loin d’être favorables à Haïti ou même neutres, ont
accentué la dépendance structurelle du pays au profit des intérêts
géopolitiques, économiques et culturels de ces superpuissances. De nombreux
penseurs tels que Michel-Rolph Trouillot, Noam Chomsky, Yves Engler ou encore
Alex Dupuy ont produit des réflexions fondées sur les mécanismes historiques et
contemporains de cette domination déguisée.
Ainsi,
nous allons proposer une analyse approfondie des relations entre Haïti et ces
pays, en mettant en lumière leur inefficacité chronique pour Haïti, ainsi que
l’absence d’une stratégie nationale efficace dans les négociations, comme le
montre cette section.
1- Haïti et
la France : l’indemnité et la poursuite de la domination symbolique.
La jeune
nation, fraîchement arrachée à la colonisation, fut contrainte en 1825, sous la
menace d’une nouvelle invasion, de payer une indemnité de 150 millions de
francs-or à la France pour compenser les colons. Selon un journal américain,
une bonne partie de cette somme aurait été dédiée à la construction de la Tour
Eiffel, l’une des œuvres les plus admirées par les Français. Même la fierté
nationale française, la Tour Eiffel, serait donc issue d’une inégalité (« kase
men Ayisyen, pran lajan ») et n’aurait pas été entièrement construite avec les
taxes des Français. Cela ne devrait-il pas être considéré comme une honte pour
la France ? En effet, Thomas Madiou, grand historien haïtien, a qualifié cette
indemnité de « forme de reconquête coloniale par des moyens économiques ».
Cette « dette originelle » a ancré Haïti dans une position de subordination
économique, sapant précocement sa capacité à peser dans les conférences
internationales sur le développement et la dette.
1.1.
La persistance d’une influence sous couvert des opérations.
La France
a toujours maintenu son influence sur Haïti. Elle a exercé une influence
culturelle à travers la francophonie, les institutions éducatives ainsi que les
alliances diplomatiques. Cette coopération a néanmoins été dénoncée dès les
années 1920 par le célèbre Jean Price-Mars, qui critiquait sévèrement le
mimétisme culturel et politique haïtien, au détriment d’un modèle souverain.
En effet,
la France profite de l’ignorance et de la complicité des autorités haïtiennes
pour éviter toute implication réelle dans une politique de réparation ou de
développement structurel. À la place, elle propose quelques aides
superficielles qui ne changent en rien la situation du pays. Frantz Fanon offre
un cadre théorique important pour comprendre cette relation : l’ancienne
puissance coloniale reste au centre du récit, tandis que l’ex-colonisé
intériorise sa dépendance.
Par
ailleurs, Haïti n’a jamais exigé de compensation sérieuse pour cette indemnité.
Toutefois, on ne peut pas ignorer la déclaration de Jean-Bertrand Aristide —
qui lui a coûté son mandat en 2004 —, l’intervention récente du président de la
transition Edgar Leblanc lors de la 78e session ordinaire de l’ONU, ainsi que
certains travaux réalisés par l’Université d’État d’Haïti. Ces actions ont
poussé le président français Emmanuel Macron à reconnaître la dette historique
que la France doit (doue) à Haïti. Mais ce dossier n’est toujours pas
considéré comme une priorité diplomatique pour les autorités haïtiennes.
Dénoncer, c’est bien ; mais cela ne suffit pas pour que la France restitue ce
qu’elle nous doit.
2-
Les États-Unis : entre occupation militaire,
ingérence politique et dépendance humanitaire.
a) L’occupation
de 1915-1934
Les États-Unis ont occupé Haïti pendant près de 20 ans, de
1915 à 1934. Ils ont pris le contrôle des grandes institutions telles que la
Banque nationale et la douane, entre autres, et ont imposé une nouvelle
constitution, sous prétexte de répondre à une instabilité politique orchestrée
et à des enjeux commerciaux. Des écrivains haïtiens et étrangers comme James
Weldon Johnson et Claude McKay ont dénoncé la brutalité de cette mission. Cette
occupation a largement freiné l’avancement du pays ; les Américains en ont
profité pour piller les richesses du sous-sol haïtien.
b)
La guerre froide et l’ingérence moderne.
Pendant
la guerre froide, les États-Unis ont soutenu des régimes autoritaires dans les
Caraïbes, y compris en Haïti (notamment celui de Duvalier), en échange d’une
stabilité et d’un alignement politique. Après la fin du régime dictatorial,
Haïti a connu un changement de régime, une soi-disant « démocratie », imposée
une fois de plus par les États-Unis. Sous ce prétexte démocratique, le
président Jean-Bertrand Aristide a été renversé avec l’aide des Américains. De
plus, on ne peut ignorer la présence constante des États-Unis dans les affaires
internes d’Haïti : ils ont fortement influencé les élections, afin de placer au
pouvoir une personne capable d’appliquer la politique de Washington, au
détriment du peuple haïtien. Aucune décision politique importante ne peut être
prise en Haïti sans l’autorisation de Washington.
Pour
certains, Haïti n’est pas un pays autonome, car ses dirigeants sont incapables
de prendre des décisions en faveur du pays sans l’appui des États-Unis. Cette
soumission volontaire de nos dirigeants a de graves conséquences sur
l’évolution de la nation.
C) Le rôle
du Canada
Face à l’instabilité politique provoquée par le coup d’État
de 1991, qui a renversé Jean-Bertrand Aristide, le Canada a décidé d’intervenir
en Haïti, non pas de manière unilatérale, mais en collaboration avec des
organisations internationales telles que l’ONU — dont Haïti est membre
fondateur —, l’OEA et d’autres. L’objectif était de soutenir le retour à
l’ordre constitutionnel, de promouvoir la démocratie et de renforcer les droits
humains. Cependant, ce soutien fragmenté, dirigé principalement vers la société
civile, a permis de contourner l’État haïtien. Ce mécanisme affaiblit la
capacité du pays à construire des institutions fortes et durables.
En effet, le Canada, bénéficiant d’une image favorable au
niveau international, tire profit de l’immigration haïtienne et de la
main-d’œuvre des migrants. De plus, il s’implique fortement dans le domaine de
l’éducation en Haïti, au point que le système éducatif haïtien ressemble de
plus en plus à celui du Canada. Il profite du désintérêt de l’État haïtien pour
attirer les intellectuels du pays. Il n’y a pas de plus grande perte que celle
de ses ressources humaines, utilisées pour construire un empire étranger au
détriment de la nation.
Par ailleurs, on constate que les relations d'Haïti avec ces
pays reposent sur des rapports de dépendance et de domination. Ces relations
représentent un obstacle majeur au développement du pays. C’est pourquoi Haïti
doit adopter un changement stratégique en vue de reconquérir sa souveraineté et
de redéfinir son image sur la scène internationale.
❖ Position
Haïti dans les organisations internationales.
En effet,
le monde d’aujourd’hui est caractérisé par des dynamiques géopolitiques en
constante évolution. Les pays constituant le Sud global cherchent à renforcer
leurs liens, à exprimer leur solidarité, à repenser leur place sur la scène
internationale et à promouvoir un modèle de coopération plus équitable et plus
acceptable, visant l’intérêt de tous. Haïti, en tant que première République
noire indépendante, devrait pourtant occuper une place importante dans cet
espace. Mais malgré son potentiel historique et symbolique, elle reste
marginalisée au sein des grandes instances décisionnelles. Pour remédier à
cela, les dirigeants haïtiens doivent renforcer leur coopération avec les pays
du Sud.
1) Une
présence marginalisée dans les organisations internationales
Haïti, membre fondateur de l’Organisation des Nations
Unies (ONU) et de nombreuses organisations régionales, participe régulièrement
aux grandes conférences mondiales sur le climat ou encore sur les Objectifs de
développement durable (ODD). Toutefois, cette marginalisation s’explique par
l’incapacité de nos diplomates à défendre les intérêts d’Haïti face aux autres
nations, par une instabilité politique chronique, la faiblesse de nos
institutions et une dépendance excessive à l’aide étrangère.
Par ailleurs, les structures de gouvernance mondiales,
façonnées par les grandes puissances, limitent la voix des petits États et
orientent prioritairement les agendas en faveur des pays contributeurs majeurs.
Les logiques de conditionnalité économique (comme celles du FMI ou de la Banque
mondiale) et les politiques de « de-risking » excluent souvent Haïti des
financements essentiels, renforçant ainsi son isolement.
Enfin, les cadres normatifs et sécuritaires (comme ceux de
l’ONU ou de l’OEA) peinent à intégrer pleinement les acteurs haïtiens,
préférant des interventions extérieures au détriment du leadership local.
Frantz Fanon, dans son analyse, parle de « la République des ONG ». Et ces ONG,
bien qu’actives, font souvent plus de mal que de bien à Haïti.
❖ Enjeux du
renforcement avec le sud-global
Si Haïti renforce ses relations avec les pays du Sud, elle
peut reconquérir sa souveraineté politique et économique. Comme le souligne
Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre,
les pays anciennement colonisés doivent s’affranchir de la dépendance aux
structures néocoloniales. De plus, Haïti peut tirer parti de son passé
historique pour jouer un rôle symbolique au sein des organisations regroupant
les pays du Sud.
Dans sa critique du capitalisme mondialisé, Samir Amin
encourage l’idée d’un « monde multipolaire » dans lequel les pays du Sud
coopèrent directement entre eux, sans passer par les centres de pouvoir du
Nord. Haïti devrait profiter du désengagement relatif des États-Unis sous la
politique du président Donald Trump pour sortir de leur ombre, car ce pays ne
constitue pas un partenaire véritablement avantageux. À titre d’exemple, on
peut citer les relations d’Haïti avec des pays comme Cuba, le Venezuela dans le
domaine énergétique, ou encore l’Équateur en matière de formation militaire.
Des intellectuels comme Eric Williams, ancien Premier
ministre de Trinité-et-Tobago, et Walter Rodney ont souligné l’importance d’une
intégration régionale fondée sur une mémoire commune de la traite, de la
colonisation et des résistances. L’émergence des BRICS et de la Banque du Sud
pourrait permettre à Haïti d’accéder à des financements sans les conditions
contraignantes imposées par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque
mondiale.
En effet, la diplomatie culturelle constitue l’expression
et l’expansion de la politique interne d’un pays au-delà de ses frontières,
utilisée comme un outil de « soft power » pour affirmer sa place sur la scène
internationale. Haïti, avec sa culture fascinante, peut valoriser son identité
auprès de ces pays. Cette démarche commence en amont, lorsque les autorités
culturelles du pays, en concertation avec les opérateurs culturels privés,
réfléchissent à des stratégies pour revitaliser le paysage culturel haïtien.
Ensuite, la chancellerie disposera de tous les outils nécessaires pour
alimenter ses missions diplomatiques dans le but de faire rayonner l’identité
haïtienne, comme l’explique Thomas Gandy dans son article publié dans la revue
Choublak.
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Trouillot,
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Étudiant en science politique à l'INAGHEI
ceneackpierre509@gmail.com
Journaliste