Diriger : privilège ou piège ?

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Pourquoi tant d’hommes rêvent-ils de diriger ? Depuis les sociétés primitives jusqu’aux démocraties modernes, le pouvoir fascine, attire, obsède. Certains y voient une quête de reconnaissance, d’autres un besoin instinctif de survie, ou encore une construction sociale apprise dès l’enfance. Entre honneur, responsabilité, pression et solitude, la fonction de dirigeant est bien plus complexe qu’elle n’y paraît. À travers une analyse croisée mêlant psychologie, sociologie et philosophie politique, ce texte interroge les fondements profonds de cette envie universelle : diriger, est-ce un privilège ou un piège ?


Pourquoi l'homme est-il stimulé par l'envie de diriger?

Depuis que les hommes ont décidé de se grouper l'envie d'avoir un chef s'est posée. Ce dernier n'était pas obligé de punir ou d'ordonner, il avait plutôt le devoir de conseiller, de résoudre les conflits intra ou intergroupe, une position qui était occupée par les sages et/ou anciens, comme Castre (1974) le présente dans une société contre État. Avec Hobbes (1651) on aura le Léviathan cette force suprême qui régule tout au sein de l'État. Mais pourquoi l'homme est-il stimulé par l'envie de diriger ?


Les Frères parents avaient chanté <<gade kandida>> [une musique pour dénoncer le nombre élevé de candidats qu'il y avait dans les élections]. Une telle action est possible dans les États de style démocratique. Même si cette dernière connaît des siècles d'existence, elle ne faisait pas l'unanimité. Beaucoup de nations avaient le style monarchique, où le pouvoir était transmis par le sang (Royaume-Uni), l'élection restreinte (Vatican), la désignation par le monarque sortant (l'Arabie Saoudite), l'alliance, ou l'usurpation (Richard III en Angleterre, qui a pris la couronne en 1483 après avoir déclaré illégitimes les enfants de son frère Édouard IV.). Même durant une telle période, les monarques étaient dans l'insécurité, car beaucoup d'hommes convoitaient leur place, et d'autres qui ne pouvaient pas l'usurper faisaient tout ce qui était en leur possibilité pour être dans les périphériques rapprochés de celui-ci. Avec la globalisation de la démocratie, on peut voir le nombre de candidats qu'il y a dans les élections (en Haïti, en octobre 2015 il y eut 54 candidats à la présidence, 39 candidats à la présidence en 2019 en Ukraine) et le nombre de coups d'État réalisés (en Haïti, de 1986 à 2025, sur sept (7) mandats présidentiels démocratiquement acquis, René G. Préval et Jean B. Aristide eurent deux (2) mandats, seulement trois (3) furent bouclés, avec un sans passation à un citoyen élu). Donc le pouvoir est très convoité par les humains. Mais pourquoi ? 


Cette problématique nous pousse vers plusieurs auteurs qui regardent différents aspects du comportement de l'homme. 


Abraham Maslow (1943) dans sa pyramide des besoins nous présente une hiérarchie des besoins de l'homme. parmi eux, il y a le dernier, qui est le besoin d'accomplissement et de reconnaissance. C'est ce besoin qui peut nous aider à comprendre pourquoi un vieux de soixante-dix ans et plus, et milliadaire, souhaite devenir président de son pays? David McClellard (1961) aura à répondre pour appuyer Maslow par trois besoins : Besoin de réussite, besoin de pouvoir et besoin d'affiliation. Même si, pour le cas élucidé c'est le besoin de pouvoir qui lui correspond.


Henri Laborit (1974; 1976) présente la situation sous un autre angle : pour lui, c'est une question de survie, l'homme cherche à rassurer sa sécurité, pour le faire, il dirige le groupe, car tout homme fait face à trois (3) choix : accepter, fuir ou dominer, seul le dernier est à la portée des dirigeants. Cependant, si l'on part du fait que les pouvoirs sont très convoités, le dirigeant est plus dans l'insécurité qu'un citoyen ordinaire. L'insécurité peut prendre différentes dimensions : peur de complot et de renversement, d'être tué, d'être critiqué et rejeté. Donc pour nous être dirigeant c'est pas chercher à dominer pour survivre, mais à se rapprocher de la mort. Selon Hannah Arendt on peut le voir comme une quête d'immortalité symbolique (Mes petits fils diront que leur grand-père a été président de ce pays...) une idée qu'on peut fusionner avec le dernier niveau de la hiérarchie des besoins de Maslow.


Entre l'inné et l'acquis, Qu'est-ce qui pousse un homme à avoir cette envie de derriger?

Selon Henri Laborit (1974; 1976) c'est dans l'instinct biologique de l'humain ou même des êtres vivants de vouloir diriger, de dominer, c'est un acte qui assure la sécurité et la survie, comme c'est susmentionné. Donc, c'est une réponse innée stimulée par la vie sociale. Face à un tel cas est-ce forcément inné? Pour Albert Bandura (1977) c'est l'apprentissage social qui va construire l'homme, l'envie de diriger sera parce que l'enfant voit que celui qui dirige a beaucoup de privilèges. Il sera un bon ou un mauvais dirigeant en fonction des modèles qu'il avait. Et Pierre Bourdieu (1972) présente le concept "Habitus" pour désigner un système incorporé dans la vie sociale qu'on a à suivre. 


Est-ce qu'un dirigeant dirige vraiment ?

« Diriger est parfois la pire chose qui puisse arriver à un être humain. Tu es contraint de tout savoir, même lorsque tu ne maîtrises rien. Tu dois faire preuve de force, même quand tu es intérieurement brisé. Tu dois écouter les problèmes des autres, chercher des solutions, même lorsque les tiens sont bien plus lourds. Le dirigeant est perçu comme quelqu’un qui doit être parfait, alors que l’homme qui dirige est souvent l’imperfection incarnée.  


Et quand tu veux suivre ton cœur, tes conseillers, soigneusement choisis, t’exposent les conséquences de ces choix, car diriger est une action mesurée, contrôlée, où la moindre erreur peut te coûter ta place, ta réputation, voire ta vie. Alors tu les écoutes, même si tu es en désaccord.  


En réalité, un dirigeant ne dirige pas seul : il est dirigé par les circonstances, les attentes et les autres. On pourrait plutôt dire qu’il guide. » Ce discours est une conclusion selon les déclarations de plusieurs anciens chefs d'État (Nelson Mandela; Barack Obama, 2020; John F. Kennedy, 1956; Winston Churchill). Selon Pierre Bourdieu, le dirigeant est pris dans un Champs d'habitus, un assemblage de principes socialement établi que l'on doit suivre. Idée appuyée par Hannah Arendt (1970), pour elle, un dirigeant moderne est piégé, et soumis aux exigences techniques du système, ce que le président Jovenel Moïse n'a pas cessé de dénoncer surtout sur sa relation avec la Cours Supérieure des Comptes et du Comptencieux Administratif, CSC/CA, tout comme le Conseillé Fritz Alphonse Jean ne cesse de dénoncer aujourd'hui un système qui veut garder le statut quo. 


Durkheim, il parle de pression du groupe qui oriente la décision du groupe. Le dirigeant est obligé de présenter une image idéale face au groupe. Et Kurt Lewin (1939) de son côté, indique que l'homme du groupe n'est pas même en dehors de celui-ci, le groupe influence complètement les individus. Face à une foule, un président peut déclarer qu'il a été contraint de nommer 30 juges corrompus. 


En somme, nous pouvons dire que l'homme aime le pouvoir, car diriger apporte des avantages (psychologique, social, économique...) et ces derniers ne sont pas tous réunis dans un paquet chez tout homme. Sans oublier la recherche de survie et de pouvoir, même si un dirigeant moderne ne dirige pas techniquement ( Arendt, 1970), et lorsqu'il a le pouvoir, il est encore plus dans l'insécurité. Donc le pouvoir est un poison lent que les humains prennent pour rester en vie plus longtemps.


AUGUSTE Jimeson

  • augustejimeson08@gmail.com
  • Licencié en Sciences de l'éducation 
  • Étudiant finissant du CFEF (Centre de Formation pour l'école Fondamentale) de Port-au-prince
  • Étudiant Finissant en Administration Publique à l'INAGHEI/UEH
  • Psychologue Social


Sources 

  • Arendt, H. (1970). La crise de la culture. Gallimard.
  • Bandura, A. (1977). Social Learning Theory. Prentice Hall.
  • Bourdieu, P. (1972). Esquisse d’une théorie de la pratique. Éditions du Seuil.
  • Castre, P. (1974). La société contre l’État. Éditions de Minuit.
  • Durkheim, É. (1895). Les règles de la méthode sociologique. Presses Universitaires de France.
  • Hobbes, T. (1651). Le Léviathan. (Trad. F. Tricaud, 1971). Sirey.
  • Laborit, H. (1974). L’éloge de la fuite. Robert Laffont.
  • Laborit, H. (1976). La nouvelle grille. Robert Laffont.
  • Lewin, K. (1939). Field theory and experiment in social psychology: Concepts and methods. American Journal of Sociology, 44(6), 868–896. https://doi.org/10.1086/218177
  • Maslow, A. H. (1943). A theory of human motivation. Psychological Review, 50(4), 370–396. https://doi.org/10.1037/h0054346
  • McClelland, D. C. (1961). The Achieving Society. Van Nostrand.
  • Obama, B. (2020). A Promised Land. Crown Publishing Group.
  • Churchill, W. (1949). The Second World War. Houghton Mifflin Company.

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