Haïti : Montée de violences, expansion des gangs, où est la MMSS ?

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      Un an après l’annonce tambour battant de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS) en Haïti, le constat est glaçant. Déployée comme une bouée de sauvetage dans un océan de violences, la MMSS peine à faire ses preuves. Entre effectifs réduits, mission bancale, et montée en flèche des atrocités, les promesses internationales se sont dissoutes comme d'habitude dans le fracas des armes et les sanglots des déplacés. Loin de restaurer l’ordre, cette mission semble aujourd’hui errer, à la manière d’un navire sans boussole, dans le tumulte haïtien. Ce papier est une radiographie qui témoigne, un an plus tard, de l'échec patent de la Mission multinationale de soutien à la sécurité d'Haïti.


Faux départs d’une mission salvatrice

     Conçue à grand renfort de déclarations solennelles, la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS) est entérinée le 2 octobre 2023 par la résolution 2699 du Conseil de sécurité de l’ONU. Orchestrée principalement par le Kenya, elle devait marquer un tournant décisif dans la guerre contre les gangs armés qui étranglent Haïti. Mais entre les annonces dithyrambiques et la réalité du terrain, le gouffre est abyssal. L’ancienne administration de Ariel Henry, à l’origine de l’appel à l’aide internationale, s’est vite retrouvée confrontée à ses propres failles. À force de tergiversations politiques, d’opacité stratégique et de malentendus diplomatiques, le projet s’est délité en une mission à l’ambition floue, portée à bout de bras par un État affaibli dans toute sa squelette.


        Alors que les Haïtiens attendaient un véritable sursaut sécuritaire, la mission s’est transformée en un théâtre d’attentes déçues. Son mandat, non onusien mais adossé à un cadre bilatéral entre les pays contributeurs et le gouvernement haïtien, lui ôte toute la légitimité et la robustesse d’une mission de paix classique. Un an plus tard, la MMSS apparaît davantage comme un compromis politique pareille au CPT que comme une réponse opérationnelle efficace.


 Échec patent d’un État défaillant 

         Le gouvernement d’Ariel Henry, instigateur de la demande d’assistance, laisse derrière lui un héritage calamiteux. Sous sa direction, l’appareil d’État s’est effondré dans une inaction vertigineuse, laissant les gangs prospérer en toute impunité. Loin d’accompagner la MMSS avec une stratégie nationale de rétablissement de l’ordre, les autorités ont préféré se réfugier dans une rhétorique de délégation « La communauté internationale nous viendra en aide ». Ce pari risqué a nourri un attentisme mortifère qui continue d’étrangler la population.


      La population, elle, n’a rien vu venir sinon l’aggravation de sa condition : exactions, massacres, pillages, l'aide humanitaire. Les données sont cruelles : près de 2 680 victimes recensées en un an, dont 957 blessés, selon Human Rights Watch. Le nombre de déplacés internes atteint aujourd’hui plus de 1,3 million, soit plus de 11 % de la population haïtienne. Face à ce chaos, l’administration Henry a sombré sans tambour ni gloire, laissant au Conseil présidentiel de transition la lourde tâche de rattraper une catastrophe politique et humanitaire largement prévisible.


Une arrivée sous haute escorte

       L’entrée du premier contingent kényan en Haïti, le 25 juin 2024, sous escorte militaire, fut saluée comme un jalon historique par les groupies du CPT et les outils impeccables du système. Les images, soigneusement chorégraphiées, montraient des policiers disciplinés, armes au poing, prêts à affronter l’impensable. Pourtant, cette mise en scène cache mal les failles logistiques et les limites opérationnelles d’un déploiement fragmentaire avec une autre mission onusienne qui soit autre que celle les médias. Loin de 2 500 agents promis par l’ONU, seuls 400 à 500 policiers sont actuellement sur le terrain. Pourquoi un tel écart ? Le flou règne. Officiellement, il s’agirait de contingences logistiques, de lenteurs administratives, voire de réticences politiques dans certains États contributeurs. Point-barre.


       Dans les faits, cette mission, censée jouer un rôle de catalyseur apparent dans la sécurisation du territoire, agit comme une force d’appoint. Ce sous-effectif chronique trahit un manque de volonté internationale manifeste. Pire : il fragilise le moral des troupes en mission et expose davantage les populations civiles aux représailles des bandes armées.


Mission apparente, présence visible, actions invisibles

          Depuis leur arrivée, les officiers de police de la MMSS sont visibles sur quelques axes stratégiques : le wharf de Port-au-Prince, certains quartiers du centre-ville et quelques points tièdes de l’Artibonite, dans les hôtels derrière certaines autorités. Mais leur action peine à s’imposer dans l’imaginaire collectif. Aucun chef de gang n’a été capturé, aucune véritable opération de désarmement n’a été documentée. L’absence criante de rapports publics alimente la suspicion. Que font exactement les policiers kényans au quotidien ? Où sont les résultats tangibles ?


      Le porte-parole de la mission, Jacques Umbaka, invoque une « communication stratégique » et la nécessité de garder confidentielles les « opérations en cours ». Après un an alors! Un argument qui, au mieux, dénote un manque de transparence ; au pire, laisse craindre une inaction dissimulée. Le contraste entre la gravité de la crise sécuritaire et la discrétion de la mission conforte les critiques d’une MMSS symbolique, bien plus préoccupée par l’image que par l’impact réel.


Entre vœux pieux et diplomatie vacillante

    La résolution 2699 de l’ONU prévoyait clairement un contingent de 2 500 policiers pour appuyer les forces haïtiennes. Or, un an plus tard, à peine un cinquième de ces effectifs a été déployé. L’écart est saisissant et soulève une série d’interrogations. Les raisons avancées sont multiples : désistement d’États promis, lenteur de formation, problèmes budgétaires, voire tensions diplomatiques sur le sol kényan où la Cour suprême avait un temps bloqué la participation du pays à la MMSS.


       Cette dissonance insaisissable entre le mandat prévu et la réalité du terrain mine la crédibilité même de la mission. Elle démontre que la communauté internationale, bien que prompte à promettre, rechigne à s’engager pleinement dans un conflit qu’elle juge peut-être périphérique. Pourtant, pour les autorités haïtiennes, il ne s’agit ni d’un théâtre secondaire ni d’un enjeu marginal : c’est une question de survie nationale. 


Sur le fil du rasoir

      Tandis que la MMSS patine, les gangs gagnent du terrain. À La Chapelle, dans l’Artibonite, le groupe Grand Griffe a récemment pris le contrôle de plusieurs zones en l’absence de toute patrouille internationale. À Port-au-Prince, les affrontements entre gangs rivaux se poursuivent dans l’indifférence apparente des autorités. Des leaders communautaires dénoncent un « désengagement alarmant » de la mission, particulièrement depuis l’assassinat d’un policier kényan à Petite Rivière.


    Si le porte-parole Umbaka affirme que les opérations se poursuivent, la population, elle, voit peu d’effets sur sa sécurité quotidienne. L’absence de coordination visible avec la Police nationale d’Haïti (PNH) aggrave ce sentiment d’abandon. Le silence des armes n’est pas pour demain. L’expansion territoriale des groupes criminels continue son inexorable progression, creusant un peu plus la tombe d’un État déjà exsangue.


Avant l’arrivée de la MMSS

     Bien avant que les premiers contingents de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMSS) ne foulent le sol haïtien, de vastes portions du territoire national s’étaient déjà échappées du giron régalien de l’État. Des quartiers naguère paisibles comme Cité Soleil, Martissant, Bel-Air ou Croix-des-Bouquets étaient devenus, à la barbe des autorités, des zones de non-droit, ou du moins ce que la célèbre Emmeline appelle « Territoire perdus », contrôlées par des groupes armés lourdement équipés par le marché international. Ce démembrement territorial, fruit d’années de désengagement de l’État et d’une gouvernance en lambeaux, avait érigé une nouvelle géographie de la peur, où la loi du plus fort suppléait celle de la République. Dans l’incapacité de garantir l’intégrité du territoire, l’État s’était replié sur quelques enclaves symboliques, abandonnant au passage écoles, hôpitaux, commissariats, et surtout les populations, livrées pieds et poings liés à l’arbitraire des chefs de gang.


Les territoires perdus durant la présence de la MMSS

     Ironie tragique. Alors que la MMSS était attendue comme l’ultime recours pour juguler l’avancée des enfants mal orientés de la terre de la liberté, son déploiement n’a pas freiné l’hémorragie territoriale, bien au contraire. En l’espace d’un an, des bastions naguère sous contrôle partiel, comme certaines zones de Pétion-Ville, Tabarre, de Port-au-Prince et même des axes stratégiques comme l’aéroport international, ont vacillé sous l’emprise criminelle. La MMSS, corsetée dans un mandat flou et une logistique défaillante, a souvent donné l’impression d’être un colosse aux pieds d’argile, témoin impuissant de la débâcle sécuritaire. Les gangs, enhardis par l’inefficacité de cette force étrangère, ont affiné leurs conquêtes, se taillent des fiefs jusque dans des villes de province. En cela, au lieu de reconquérir les territoires perdus, la MMSS a assisté, spectatrice désarmée, à la fragmentation accélérée de la souveraineté haïtienne.


Échec ou réussite 

 Le bilan de la MMSS, un an après, est à géométrie variable. Pour les autorités kényanes et certains diplomates, le simple fait d’avoir amorcé une présence sécuritaire internationale est déjà une victoire. Pour la population haïtienne, en revanche, les résultats sont insignifiants. Le contraste est saisissant car là où certains voient un espoir embryonnaire, d’autres dénoncent une opération de façade, coûteuse et inefficace, un make-up pour masquer la volonté des Nations unies de laisser la population haïtienne dans sa peur et son appauvrissement.


     Ce hiatus illustre l’écart abyssal entre les intérêts géopolitiques des pays contributeurs et les besoins concrets des Haïtiens. La MMSS est-elle un échec ? Affirmatif. Si l’on considère la progression des violences, le nombre croissant de déplacés et l’impunité des chefs de gang. Mais pour certains gouvernements étrangers, elle constitue un symbole fort d’engagement minimaliste, suffisant pour sauver la face diplomatique sans s’embourber dans une guerre de tranchées complexes.


Entre clair-obscur et incertitudes

      À la veille d’un nouveau renouvellement de mandat, la MMSS se trouve à la croisée des chemins. Human Rights Watch recommande avec insistance la transformation de la mission en une véritable force onusienne dotée d’un mandat clair et de ressources adéquates sans questionner les missions onusiennes précédentes. Et alors que doit-on dire à l'égard de jeunes haïtiens en âge actif qui se disent prêts à s'engager dans l'armée, dans les unités spécialisées de la PNH pour lutter pour restaurer la sécurité du pays ? Ce changement de paradigme demeure aujourd’hui la seule issue crédible pour redonner sens à cette mission chancelante et celles qui ont précédé cette nouvelle forme d'occupation états-unienne.


     Faute de quoi, la MMSS restera un mirage : une force présente mais impuissante, un symbole sans substance. Autrement dit, ce sont les autorités qui doivent décider du destin de la nation, non pas l'ONU, ni les États-Unis, ni CoreGroupe, ni Caricom ni OEA. Pour espérer un avenir plus sûr, Haïti doit bénéficier d’une stratégie globale issue de sa politique de l'autosuffisance articulant lutte sécuritaire, appui institutionnel, et relance socio-économique, en décidant pour elle-même, sans dicter d'aucuns autres États. Sans cela, la mission internationale risque d’achever sa course comme tant d’autres : dans l’oubli, le désaveu et l’amertume. Et c'est la population haïtienne qui paie le prix.


Elmano Endara JOSEPH

  • joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht, 
  • +509 32 32 83 83
  • Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/Cesun Universidad, California, Mexico ; Formation en Sciences Juridiques/FDSE, et en Communication sociale/Faculté des Sciences Humaines/(FASCH) -

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