Alors que la population haytienne s’apprête à commémorer le 222e anniversaire de son emblématique drapeau, l’ombre des gangs continue de planer sur la ville de l'Arcahaie, berceau historique du bicolore, sur le Champs-de-Mars où est logé le Musée du panthéon National haitien (MUPANAH), à la barbe du Palais National. Occupée depuis 2023 par des groupes armés, la cité du drapeau qui fut le théâtre de l’unité nationale est aujourd’hui inaccessible aux autorités et aux citoyen.ne.s. Pour la quatrième année consécutive, les célébrations officielles du 18 mai seront déplacées, et cette fois-ci c'est vers le Cap-Haïtien, dans un effort de préserver la solennité malgré la fragmentation du territoire haitien. Ce déplacement forcé soulève des questions profondes sur le symbolique d’un drapeau que l’on ne peut plus honorer en paix là où il est né. Une commémoration sous tension, reflet d’un pays en quête de souveraineté réelle.
222 années après
Ce dimanche 18 mai 2025 marque le 222e anniversaire de la création du drapeau haytien, une date commémorée annuellement par tous les Haytien.ne.s. Le bicolore bleu et rouge est un symbole puissant du passé colonial d'Hayti et de sa lutte contre le système exclusif, ségrégationniste et esclavagiste imposé par l'impérialisme capitaliste raciste de l'occident. Cette journée est une tradition historique importante pour les Haytien.ne.s du monde entier.
En revanche, cette célébration est aujourd'hui marquée par l'instabilité sociopolitique et la violence des gangs armés qui perturbent le pays. En dépit de ces difficultés, la date du 18 mai reste un symbole de fierté nationale, rappelant le courage des "héros.héroïnes de l'indépendance" au début du 19e siècle qui ont osé revendiquer leur liberté, ainsi que la naissance d'un nouvel ordre mondial fondé sur l'égalité de tous les hommes et de toutes les femmes (Cf. Bernard Diederich, 2011).
Le 18 mai est également la fête de l'Université en Hayti, une autre tradition significative. Malheureusement, l'instabilité systémique et les occupations des voies publiques par les gangs armés depuis début 2023 ont fortement perturbé les célébrations, paralysant les activités quotidiennes et affaiblissant le tissu social ainsi que les valeurs traditionnelles.
Le drapeau du peuple haytien, avec ses bandes horizontales rouge et bleu, est bien plus qu'un simple emblème national, il raconte une histoire profonde de résistance, de fierté et de liberté. Ce drapeau est devenu un symbole puissant de la lutte contre l'oppression coloniale et de l'éradication de l'esclavage sur le sol haytien (Cf. Beaubrun Ardoin/ Haïti Inter, 2021).
Adopté officiellement en 1843, ce drapeau est un témoignage vibrant de l'histoire coloniale haïtienne et de la détermination de ce grand peuple noir (Cf. Thomas Madiou, 1847). Il est enrichi des armoiries de la première Empire noire indépendante du monde.
Ce drapeau n'est pas simplement un symbole, il est une incarnation de la grandeur et de la fierté d'un peuple libre, rappelant continuellement la force de leur union face aux adversités historiques du colonialisme.
Création du drapeau haytien
Derrière ce bicolore rouge et bleu, qui est organisé en deux bandes horizontales, se raconte une histoire exemplaire et contagieusement captivante en termes de message de grandeur et de fierté de peuple libre : celle de la resistance à l'oppression et au barbarisme de la colonisation capitaliste universaliste jusqu'à s'organiser pour éradiquer l'esclavage sur le sol haytien (Cf. Louis Joseph Janvier, 1883)..
Créé en 1803 par Catherine Flon, la fille naturelle du général en chef de l'armée indigène d'alors, Jean Jacques Dessalines, selon certains historiens, et a été adopté dès 1820 après la mort du roi Henri 1er, et officialisé en 1843 sous Boyer, ce drapeau est le symbole de la fierté du passé colonial des haïtien.ne.s (Louis Joseph Janvier, 1886).
Sans faire une épineuse historicité, une description pointue et détaillée de la question, il est important de souligner les traits des armoiries de la première Empire instaurée par des noirs esclavagisés qui ont conquis leur indépendance face à la plus grande armée coloniale, capitaliste universaliste d'alors, qui sont inscrites dans ce symbole historique du passé du peuple haytien. Le palmiste surmonté du bonnet pointu de la liberté symbolique, ombrageant ainsi de ses palmes miraculeux, un petit trophée d’armes bien arrangé avec la gravure d'une légende phrase qui porte la synergie et l'unité de tous.tes les Haytien.ne.s pour une seule cause : « L’union fait la force » (Manigat, 1962)
Rappelons qu'au cours d’une rude épreuve de champ de bataille qui a duré plus d'une dizaine d'années (1791-1803) dont celle qui a eu lieu au nord-ouest de Port-au-Prince, à la Plaine du Cul-de-Sac, entre la troupe française et la 13e demi-brigade des indigènes, celle-ci est vaincue et son drapeau qui était le tricolore bleu, blanc et rouge a été arraché bravement par les indigènes, en février 1803 (Louis Joseph Janvier, 1885).
Constatant cette victoire, étant réunis à la ville de l’Arcahaie le 18 mai 1803, lors d'un congrès entre les principaux chefs de l’armée indigène, ils ont décidé de la création du drapeau haïtien et l'avait offert aux régiments l'emblème sur lequel bicolore est gravé en lettre d'or «Liberté ou la Mort» (Louis Joseph Janvier, 1884a). Bref!
C'est fascinant de voir comment l'histoire et la politique ont façonné l'évolution du drapeau haïtien au fil du temps, reflétant les changements de leadership et les luttes sociales. La symbolique derrière chaque modification est profonde, politique et représente souvent les valeurs et les aspirations du peuple haïtien à différentes époques.
Brève infographie
Voici une brève infographie qui retrace l'évolution du drapeau haïtien à travers les événements historiques marquants de l'époque coloniale jusqu'à la fin du régime des Duvalier (Michel Rolph Trouillot, 1995).
En février 1803, lors d'une bataille à la Plaine du Cul-de-Sac, la 13e demi-brigade des indigènes bat les troupes françaises comme des enfants rebelles et s'empare de leur drapeau tricolore bleu, blanc et rouge (Thomas Madiou, 1847)
Le 18 mai 1803, lors du congrès de l’Arcahaie, les chefs de l’armée indigène décident de créer un drapeau haytien bicolore (bleu et rouge), symbole de fierté et de rupture radicale avec le colonialisme capitaliste raciste et universaliste de l'occident, avec l'inscription « Liberté ou la Mort ».
Le 17 octobre 1806, après l'assassinat crapuleux de Dessalines, issu d'un complot, Alexandre Pétion, vite fait, modifie le drapeau en plaçant le bleu et le rouge horizontalement, revue corrigée et augmentée de celui de la France (Louis Joseph Janvier, 1885).
Entre la période de 1811 à 1820, Henry Christophe, régnant dans le grand Nord, tenant le bicolore noir et rouge (Louis Joseph Janvier, 1884b).
En 1818, une fois que Christophe est mort en 1820, Jean-Pierre Boyer, qui avait succédé à Alexandre Pétion, a réunifié la République en adoptant le bicolore bleu et rouge, sous les tonnelles de la France (Louis Joseph Janvier, 1885).
Par ailleurs, en plus du symbole d'unité qu'il représente entre les différentes couches sociales de la société haytienne de 1803, le bicolore haïtien a été remplacé par un drapeau rouge et noir sous la dictature des Duvalier de 1964 à 1986 (il y a toute une histoire derrière ce choix) in Les éléments d'une doctrine (Duvalier, 1966). En revanche, quelques jours après la chute du régime des Duvalier, le bicolore bleu et rouge a été réhabilité officiellement dans la constitution de 1987 pour des raisons d'ordre politique occidentaliste.
Sombre jour
Aujourd'hui, nous célébrons la Fête du drapeau, un symbole puissant de liberté et d'égalité pour tous les hommes, pour toutes les femmes, indépendamment de leur origine sociale ou raciale. En revanche, cette journée de célébration est assombrie par des violences multiples, une crise humanitaire sévère, une détérioration de la sécurité, et une instabilité politique systémique en Hayti. Cette insécurité entrave gravement le fonctionnement normal des activités publiques et privées.
De plus, aujourd'hui marque également la célébration de la fête de l'Université d'État d'Hayti, qui est un pilier de la vertu, du savoir, de la science, et de la morale sociale haytienne.
Le centre-ville de la capitale d'Ayiti dont plus de 90% sont contrôlés par les gangs armés. Dans le périmètre du Champ-de-Mars, où sont logés les restes du Palais National saccagé par le tremblement de terre du 12 janvier 2010, presque personne n'y fréquente, même les autorités. Les abords du Palais national sont pourtant quadrillés par des agents de différentes unités de la Police nationale d'Hayti (PNH) pour empêcher l'avancée des gangs.
Célébration officielle, lieu inhabituel
La célébration de la fête du bicolore haytien traditionnellement se déroule dans une ambiance de détente et d'amusement. Malheureusement, au cours de quatre dernières années, la montée en flèche de la violence armée a perturbé la vie quotidienne en Hayti.
Pour le 222e anniversaire du bicolore haytien, symbole de l'unité nationale et de l'égalité des classes sociales, les festivités se sont déroulées dans un climat d'insécurité alarmante. La population haïtienne vit dans la peur de se déplacer, alors que des détonations d'armes automatiques résonnent partout. Personne ne se sent en sécurité.
La célébration officielle de la fête du drapeau haïtien, qui se tient traditionnellement à l'Arcahaie, a été déplacée pour des raisons de sécurité. En raison de l'escalade de la violence des gangs à Port-au-Prince, les autorités gouvernementales ont décidé de reporter l'événement non pas à la Villa d'Accueil, située à Bourdon, au sud de Port-au-Prince, mais dans le deuxième ville du pays, la cité christophienne. Cette décision vise à assurer la sécurité des participant.e.s tout en honorant l'importance historique de cette date commémorative. Habituellement, c'est également à cet endroit que se réunit le conseil de l'Université d'État d'Hayti (UEH).
Appel solennel à l'unité
Dans cette atmosphère historique et dans ce contexte hors du commun, les membres du conseil présidentiel de la transition (CPT) ont tour à tour invité toutes les forces vives de la nation haïtienne à s’unir pour combattre ensemble la crise sécuritaire. Ils ont également profité de cette grande occasion pour s’adresser à la communauté internationale, en particulier pour continuer à collaborer et à soutenir la cause du peuple haïtien. Le CPT, en faisant de la sécurité sa priorité mourante, exprime son impatience à l’idée du renforcement de la Mission Multinationale d'Appui à la Sécurité (MMAS) afin d'avancer avec les travaux nécessaires pour rétablir la paix et la concorde au sein de la population haïtienne, actuellement confrontée à une recrudescence des assauts des bandits armés.
Effritement des valeurs traditionnelles
La situation d'Hayti est tragique et complexe. Les activités des gangs ont créé un climat de peur et d'insécurité pour la population, mettant en péril les valeurs traditionnelles et culturelles du pays. Il est essentiel que les efforts pour lutter contre cette violence soient coordonnés et efficaces, impliquant non seulement les acteurs politiques, mais également la communauté internationale et la population.
Alors que la situation en Hayti semble être extrêmement difficile avec la violence des gangs qui continue de ravager le pays, en particulier dans les zones les plus peuplées comme l'aire métropolitaine de Port-au-Prince et le département de l'Artibonite. Malgré les efforts des acteurs politiques pour stabiliser la situation, il semble que peu de progrès aient été réalisés jusqu'à présent. La spirale de violence menace non seulement la sécurité physique des habitant.e.s, mais aussi les valeurs traditionnelles et culturelles qui sont au cœur de l'identité ayitienne.
La situation semble vraiment chronique en Hayti avec la persistance de la violence des gangs. Renverser ce "mur de Berlin" nécessitera des efforts concertés de la part du gouvernement, des forces de sécurité et de la communauté internationale pour restaurer la paix et la sécurité dans le pays.
Elmano Endara JOSEPH
joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht,
+509 32 32 - 83 83
Formation : Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/ Faculté des Sciences Humaines (FASCH), Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico.
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Bibliographie
- Bernard DIEDERICH, Le prix du sang: la résistance du peuple haïtien à la dictature. L'héritier : Jean-Claude Duvalier, 1971-1986, Volume 2, 2011, p. 467.
- Haïti Inter, Beaubrun Ardouin et son histoire d'Haïti, consulté le 29 avril 2023, à 23:53, disponible sur : https://youtu.be/PgIolt5yvDA?si=IL9P9_Vhzf7M0mHV
- Dubois LAURENT & Zavitz ERIN, Thomas Madiou, Histoire D’Haïti : Excerpts That Relate to the History of Vodou, Gainesville, Florida «Benjamin Hebblethwaite» 2013, disponible sur : https://www.dloc.com/AA00016784/; https://ufdc.ufl.edu/aa00016784/00001
- François DUVALIER, Oeuvres essentielles : Les éléments d'une doctrine, 1966.
- Janvier Louis JOSEPH, L'Égalité des Races, 1884.
- Janvier Louis JOSEPH, Haïti aux Haïtiens, 1884.
- Janvier Louis JOSEPH, Les Affaires d’Haiti, 1885.
- Janvier Louis JOSEPH, Les Constitutions d’Haïti, 1886.
- Janvier Louis JOSEPH, La République d’Haiti et ses visiteurs, 1883.