Insécurité en Haïti : sources et perspectives

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Citation :

« Si nous n'enterrons pas l'insécurité par tous les moyens possibles, elle nous enterrera par sa seule force. Alors, Haïtiens, unissons-nous contre l'insécurité. »

Insécurité en Haïti : sources et perspectives

La question de l'insécurité grandissante en Haïti mérite une réflexion profonde et minutieuse. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle ce phénomène serait uniquement dû au laxisme des autorités étatiques, il existe en réalité un ensemble complexe de facteurs qui contribuent à cette situation.

Faisant la une de l’opinion publique et ayant suscité l’intervention de nombreux spécialistes désireux de combattre ce phénomène en Haïti, l’insécurité reste pourtant mal comprise. En effet, certains paramètres essentiels sont souvent ignorés, alors qu’ils sont cruciaux pour atténuer l’impact de cette crise qui paralyse l’ensemble de la population haïtienne. Pour apporter une solution durable — voire radicale — il est indispensable de s’interroger d’abord sur l’origine de ce phénomène, d’analyser les échecs des stratégies mises en œuvre au cours des années passées, tant sur le plan national qu’international, puis de proposer des solutions concrètes et viables.

"Le vrai savoir est savoir par les causes", selon l’expression d’Aristote dans la Métaphysique. Bien que cette conception de la recherche de la vérité — ou de la connaissance — ait été critiquée par Bernard Le Bovier de Fontenelle, elle demeure une base de réflexion pertinente. Ainsi, nous pourrions reformuler cette idée en affirmant que le vrai savoir est savoir par la source, une approche qui pourrait s’accorder, en partie, avec celle de Fontenelle. En effet, l’insécurité ne surgit pas de nulle part : elle a une origine. C’est ce constat qui nous amène à considérer les événements ayant conduit à ce phénomène.

Schéma du triangle représentant les diverses contradictions ayant abouti à l’insécurité en Haïti.

Pour bien comprendre l’origine de ce phénomène en Haïti, il faut jumeler la crise politique et la crise sociale survenues durant la seconde moitié du XXe siècle haïtien. Cette période fut marquée par d’importants mouvements populaires et l’arrivée de nouveaux régimes politiques. Cependant, l’événement le plus décisif pour la situation sécuritaire actuelle reste le coup d’État contre l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.

Lors de son retour au pouvoir, dans l’ultime but d’éviter la répétition de l’histoire, Aristide a adopté deux mesures qui allaient profondément fragiliser la sécurité nationale :

1. La dissolution des Forces Armées d’Haïti (FADH).

2. L’armement d’individus civils, parmi lesquels des figures tristement célèbres comme Ronald Cadavre, Félix Bien-Aimé, et d'autres.De ce fait, Aristide est souvent considéré comme un acteur "Legba" de l’insécurité en Haïti, c’est-à-dire une porte d’entrée majeure vers le chaos sécuritaire.

Les choses ont empiré lorsque les politiciens ont commencé à instrumentaliser ces groupes armés à des fins électorales, en leur confiant la tâche de remplir des urnes ou d’organiser des fraudes. Les élections de 2006 en sont une illustration frappante : de nombreux cas de trucages ont été signalés dans des centres de vote comme l’École Nationale Hermanéraux ou République du Pérou. À cette époque, même en exil, Aristide aurait déclaré :« Vote sa ki pi pre w la pou sa ki pi lwen w lan ka avanse »,encourageant indirectement la manipulation électorale.

La situation est devenue encore plus complexe lorsque la bourgeoisie haïtienne a, elle aussi, adopté cette stratégie, avec une double intention :

1. accroître leur suprématie économique.

2. régler des différends personnels — à l’image de l’affaire Clifford Brandt.

Ainsi, on comprend que ce puissant phénomène qui ravage le pays résulte d’une contradiction à triple ambivalence, opposant et entremêlant les intérêts de la classe politique, de la classe bourgeoise, et d’un appareil sécuritaire affaibli.

D’une part, la classe politique se fragmente : d’un côté, le parti au pouvoir utilise des groupes armés pour conserver le pouvoir, tandis que, parallèlement, le parti de l’opposition se sert de ses propres groupes armés pour déstabiliser le régime en place. Cela s’illustre notamment par les rivalités entre Tibwa et Grand-Ravine : le premier soutient le pouvoir en place (PHTK), tandis que le second est appuyé par l’opposition.On ne saurait oublier la déclaration de l’ex-président, Son Excellence Jovenel Moïse, en réponse à une série de manifestations populaires :« N ap mande m pou m ale, e nèg pa m yo, kisa n ap fè ak yo ? ».De surcroît, Tilapli a déclaré continuer à faire usage d’un Galil (fusil d’assaut) donné par l’ex-président Joseph Michel Martelly à Tèt Kale, un ancien chef influent du groupe armé Grand-Ravine. Ainsi, on voit clairement l’empreinte de certains politiciens haïtiens dans la maturation de l’insécurité actuelle.

D’autre part, les rivalités entre les bourgeois ont jeté de l’huile sur le feu dormant de cette crise. En effet, certains d’entre eux approvisionnent les groupes armés de manière massive. C’est notamment le cas de Steeve K. à Mariani, accusé de fournir des armes et des munitions de toutes sortes à un groupe armé protégé par la Police nationale d’Haïti, dénommé Caravane, dans le but de contrer l’expansion de Boutba.

On peut également citer l’affaire Clifford Brandt précédemment évoquée, comme une autre preuve de cette contradiction. À cela s’ajoutent les soupçons entourant Éric Jean Baptiste et Monsanto Petit, dixit Chez Toto, dans l’assassinat du directeur de Parayaj Pam, tué à son domicile. Cette attaque aurait été motivée par la baisse de revenus liée à la concurrence des jeux de pari sportif, qui affectaient les ventes de loterie.

Enfin, une troisième force est entrée en lice dans l’utilisation des gangs armés : il s’agit de la contradiction pour le contrôle du pouvoir entre les politiciens et la classe bourgeoise. L’une des manifestations les plus visibles de ce conflit fut le rôle de Michel Martelly, figure emblématique du camp bourgeois, qui s’est activement engagé dans le mouvement ayant conduit au départ de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide en 2004.

En somme, l’insécurité en Haïti trouve sa source dans une contradiction triangulaire, résultat d’un affrontement complexe entre la classe politique, la classe bourgeoise, et les groupes armés instrumentalisés par ces deux sphères de pouvoir.

Des manœuvres mises en œuvre pour remédier à l’insécurité en Haïti

Il ne faut pas faire preuve d’une grande clairvoyance pour constater l’impuissance de la Police Nationale d’Haïti face à la crise sécuritaire qui sévit dans le pays. À ce titre, on pourrait simplement se référer à la question suivante :

« Pourquoi avions-nous besoin de la présence d’une force internationale ou multinationale en Haïti ? »La réponse à cette question renvoie directement à la faiblesse structurelle de la force locale.

Toute la population haïtienne croyait que la présence d’une force étrangère — internationale ou multinationale — pourrait éteindre le feu ravageur de l’insécurité. Pourtant, de la MINUHA à la MANUH, en passant par la MINUSTAH, toutes ces missions ont échoué .Oui, elles ont échoué.

Avant la MINUSTAH, plusieurs autres missions des Nations Unies, telles que la MITNUH et la MIPONUH, avaient déjà enregistré des défaites retentissantes. Lors du lancement de la MINUSTAH en juin 2004, le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, exprimait déjà une certaine lassitude :« Tâchons, cette fois-ci, de réussir. » selon Benjamin F., dans l’échec des Nations Unies en Haïti.

La MINUSTAH fut donc déployée le 1er juin 2004, selon la résolution 1542. Son échec, hélas, laisse déjà présager une aggravation de l’insécurité. Cet échec peut être analysé sous trois angles :

1. Sur le plan social :

De larges franges de la population réclamaient le départ des casques bleus en raison de nombreux cas de viols, vols et autres abus commis par ces derniers.

Pire encore, le foyer de l’épidémie de choléra en Haïti a été identifié comme provenant du camp des soldats népalais de la MINUSTAH basé à Mirebalais.

Conséquences :

  • Plus de 3 000 morts,
  • Plus de 52 000 personnes infectées en décembre 2010,
  • Et une prévision de 400 000 cas pour les 12 mois suivants a déclaré le numéro 1 du MSPP.

2. Sur le plan sécuritaire :

La mission n’a pas su désarmer les gangs. Au lieu de cela, les troupes se sont contentées d’installer des bases dans les bidonvilles, laissant les gangs s'organiser librement dans les camps d’hébergement. Le directeur général de la Police Nationale d’Haïti (PNH ) à l’époque, Mario Andrésol, avait reconnu publiquement des liens entre certains chefs de gang et des casques bleus jordaniens.

Un fait marquant : la mort du lieutenant-général brésilien Urano Bacellar, le 6 janvier 2006, reste encore aujourd’hui entourée de mystère et symbolise l’échec sécuritaire de la mission.

3. Sur le plan économique :

En décembre 2007, des cas de fraude massive furent rapportés, impliquant certains membres de l’ONU. Ces fraudes s’élevaient à 610 millions de dollars.

Par ailleurs, entre le 30 juin 2005 et le 1er juillet 2006, le budget officiel de la MINUSTAH était de 379,05 millions de dollars.

Données sociologiques sur les membres des gangs

Une enquête menée dans le cadre de ce travail révèle des statistiques importantes qui peuvent éclairer les mécanismes de l’insécurité :

1. Répartition par âge :

  • 58 % des membres de gangs ont moins de 30 ans,
  • 18 % ont moins de 18 ans,
  • 4 % ont moins de 15 ans,
  • 4 % ont plus de 40 ans.
  • 2. Répartition par sexe :
  • 83 % sont de sexe masculin,
  • 16 % sont de sexe féminin,
  • 1 % s’identifient comme homosexuels.

3. Données familiales :

  • 26 % des jeunes (gangs) de moins de 30 ans sont issus de familles monoparentales,
  • 5 % sont orphelins des deux parents,
  • 2 % ont un père ancien membre de la MINUSTAH,
  • 8 % ont perdu leurs parents durant le séisme du 12 janvier 2010 ou l’épidémie de choléra.

En conclusion :

Au regard de ces données vérifiables et d’une analyse rigoureuse, on peut affirmer que l’insécurité actuelle en Haïti est à la fois une cause et une conséquence directe des interventions onusiennes. Certains iraient jusqu’à croire que ces échecs sont intentionnels, et qu’ils relèvent de la théorie du complot, comme l’évoque Noam Chomsky dans La manipulation de masse : une volonté tacite de juguler Haïti.

Ce sentiment est partagé par Ricardo Seitenfus, ancien représentant de l’OEA en Haïti, qui déclarait : « Sur la scène internationale, Haïti paie essentiellement sa grande proximité avec les États-Unis. »

« On veut faire d’Haïti un pays capitaliste, une plateforme d’exportation pour le marché américain. C’est absurde. (…) On ne résout rien, on aggrave la situation. »

Et de conclure : « Cela suffit de jouer avec Haïti. »

Au fait ,de nombreux spécialistes en sécurité se sont heurtés à une approche simpliste face à la résolution de l’insécurité en Haïti. On a été abasourdi d’entendre le commissaire du département des Nippes, Jean Ernst Muscadin, a affirmé qu’il lui suffirait de quelques heures (4h), accompagné d’une poignée d’agents des unités spécialisées, pour neutraliser le groupe armé « Izo, Village-de-Dieu ». Une telle démarche ne ferait qu’attiser davantage le fléau de l’insécurité, comme un effet placebo mal appliqué.

Cette posture trouve sa logique dans ses propos : « Tout moun nan Village-de-Dieu se volè, pa gen bon moun la ditou. »

Une telle déclaration laisse présager que, lors d’une éventuelle opération, de lourds dommages collatéraux seraient inévitables, entraînant involontairement des innocents dans le banditisme.

Ainsi, pour remédier efficacement à ce fléau, il convient avant tout :

1)D’instaurer une nouvelle politique douanière, qui permettrait à l’État d’exercer un contrôle réel sur le commerce des armes et munitions dans le pays. En bloquant les approvisionnements, les groupes armés seraient contraints de déposer les armes sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée.

2) D’augmenter les effectifs de la Police Nationale d’Haïti (PNH), tout en modernisant leur formation à l’aide de technologies de pointe (drones armés, hélicoptères, dispositifs de surveillance, etc.).

3) D’améliorer les conditions matérielles de vie des policiers, en les adaptant au coût de la vie actuelle, afin de renforcer leur motivation et leur intégrité.

4) Enfin, de mettre en place une véritable politique d’intégration sociale, visant à réduire les frustrations dans les quartiers défavorisés et ainsi limiter le recrutement des jeunes par les gangs armés.

Index

Les astérisques sont utilisés pour signaler les interférences linguistiques.

N.B. : Les interviews ont été enregistrées sur un support afin de servir de preuve d’authentification.

Références bibliographiques

  • L'ONU en échec dans les rues de Port-au-Prince, Le Figaro, 15 octobre 2007.
  • Haïti : le choléra pourrait toucher 400 000 personnes dans les 12 prochains mois, Centre d’actualités de l’ONU, 10 décembre 2010.
  • Benjamin F., L’échec des Nations Unies en Haïti, La Valise Diplomatique, 12 janvier 2011.
  • Prince N., Ressources naturelles et stratégies de positionnement des gangs, Études Caraïbéennes, n°56, décembre 2023.
  • Jeff Gwolwa, Yo fizye konsyans yo manman, 2024.


Rédigé par : VERNEVOIR Nick,

Étudiant au CFEF et à l’Université d’État d’Haïti.





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